Au fil des années, la prise de conscience des risques psychosociaux a amené le législateur à en préciser les définitions, le rôle des acteurs impliqués, et à fortement encourager la prévention.
Version pdf Fiche 6
Un mouvement de prise de conscience de l’importance des risques psychosociaux (RPS) au travail s’est développé depuis le début des années 1990. Les conditions de vie et le bien-être n’y sont pas seulement influencés par la sécurité et la santé, mais aussi par des facteurs psychosociaux, comme les relations interpersonnelles et l’organisation du travail. Il est également indispensable de réagir face à des comportements abusifs (violence, harcèlement) dont les conséquences psychologiques, physiques, sociales et économiques sont avérées.
La première réglementation sur le thème des risques psychosociaux date de 1992; elle visait spécifiquement le « harcèlement sexuel » au travail. En 2002, la réglementation sur le bien-être au travail a connu de grands changements, et s’est élargie à la prévention de la violence et du harcèlement moral et sexuel au travail. Suite à une première évaluation, cette réglementation a été à nouveau modifiée en 2007, où elle commençait à aborder la prévention des risques psychosociaux au travail en général.
Ces adaptations ont, à leur tour, été évaluées [[Suite à une recommandation de la commission des Affaires sociales de la Chambre des représentants en 2011]], et 2014 constitue un nouveau tournant pour le bien-être au travail – suite à l’entrée en vigueur (au 1er septembre 2014) des modifications de la loi du 4 août 1996 [[Ces modifications sont sanctionnées par deux lois et un arrêté royal : loi du 28 février 2014 (complétant la loi du 4 août 1996 sur le bien-être des travailleurs) ; loi du 28 mars 2014 (modifiant les procédures judiciaires en matière de RPS); arrêté royal du 10 avril 2014 (remplaçant l’A.R. du 17 mai 2007) ; tous parus au Moniteur du 28 avril 2014. L’entrée en vigueur est fixée au 1er septembre 2014.]]. L’accent est davantage mis sur la prévention des risques psychosociaux liés au travail, et sur le renforcement de la prévention primaire et collective (en laissant également la possibilité au travailleur d’engager des procédures individuelles).
La terminologie est adaptée à différents endroits de la législation. Il est désormais question de « risques psychosociaux au travail » (RPS), terme communément admis sur le plan scientifique et au niveau européen, à la place de « charge psychosociale occasionnée par le travail » (qui faisait l’objet de diverses interprétations). On passe ainsi de la prévention de la violence et du harcèlement, à l’ensemble des risques psychosociaux au travail. De cette manière, la prise en compte des dommages découlant de l’ensemble des RPS sur la santé se trouve renforcée, et les voies de résolution sont favorisées (donc, non plus uniquement sous l’angle des comportements abusifs). Il s’agit de faire entrer la prévention des RPS dans les mesures de prévention générales, et d’offrir ainsi une opportunité supplémentaire d’améliorer le dialogue social au sein de l’entreprise.
[*De quoi s’agit-il ?*]
Pour le législateur, les risques psychosociaux (RPS) représentent «La probabilité qu’un ou plusieurs travailleurs subissent un dommage psychique, qui peut également s’accompagner d’un dommage physique, suite à l’exposition à des composantes de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail, sur lesquelles l’employeur a un impact et qui comportent objectivement un danger».
Comme tout autre risque «classique», les RPS représentent une probabilité que des travailleurs subissent un dommage, suite à l’exposition à des dangers (cf. fiches 2.1 & 2.2). Les dommages psychiques peuvent se manifester par des angoisses, de la dépression, voire du burn-out. Les conséquences physiques peuvent être quant à elles des troubles du sommeil, de l’hypertension, de la fatigue intense, etc. On notera que ces répercussions peuvent aussi avoir un impact au niveau du collectif de travail, à travers (au sein de l’équipe) un climat délétère, des conflits, de l’absentéisme ou du présentéisme, ou une diminution de la qualité du travail.
Par ailleurs, une section spécifique de la loi est consacrée aux comportements abusifs. Excepté pour le harcèlement moral [[Le harcèlement moral prend désormais en compte un ensemble abusif de plusieurs conduites (même si les conduites ne sont pas abusives), et la liste exemplative des critères de discrimination est étendue.]], les définitions de 2007 sont peu modifiées.
Même s’ils sont nombreux et complexes à définir [[Le récent « Dictionnaire des risques psychosociaux » (éd. du Seuil, 2014, sous la direction de P. Zawieja et F. Guarneri) compte 800 pages.]], on peut préciser et classifier les facteurs de risque qui interviennent dans le travail, afin d’aider les organisations et les travailleurs à mieux les prévenir. De nombreux organismes s’attellent ainsi à déterminer les facteurs de RPS. Nous soulignerons :
L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (www.osha.europa.eu ) distingue les sources de risques selon deux critères : le contexte et le contenu du travail. Elle définit par ailleurs dix catégories pouvant présenter un risque, ainsi que les conditions dans lesquelles ces facteurs s’avèrent nuisibles pour la santé.
En France, les RPS sont analysés par le « Collège d’expertise sur le suivi statistique des RPS » selon les six dimensions suivantes : les exigences du travail, les exigences émotionnelles, l’autonomie, le soutien social, les conflits de valeur, et l’insécurité de l’emploi et du travail.
www.college-risquespsychosociaux-travail.fr/site/medias/Indicateurs-provisoires.pdf
La BOBET a, dès le départ, présenté les facteurs de risques psychosociaux dans la fiche 6.1, selon un regroupement établi à partir de la connaissance du terrain, et d’études concrètes [[Notamment celles menées par les Fonds ISAJH et ASSS de l’APEF: http://www.apefasbl.org/lapef/actions-en-partenariats/le-bien-etre-au-travail – et le Cahier de l’UNIFAF : www.unifaf.fr]] dans le non-marchand (il correspond peu ou prou à celui du SPF).
[*Le rôle des acteurs*]
Un facteur essentiel de réussite d’une politique de prévention des RPS est l’implication de chacun.

- Violence au travail : «Chaque situation de fait dans laquelle un travailleur, ou une autre personne assimilée à un travailleur, ou un tiers [[La notion de « travailleur » est celle de la loi sur le Bien-être au travail (y compris donc un stagiaire ou des bénévoles, par exemple). Les tiers étant les usagers, bénéficiaires, visiteurs, etc.]], en contact avec les travailleurs pendant l’exécution de leur travail, est menacé ou agressé psychiquement ou physiquement lors de l’exécution du travail».
- Harcèlement moral au travail : «Ensemble abusif de plusieurs conduites similaires ou différentes, externes ou internes à l’entreprise ou à l’institution, qui se produisent pendant un certain temps, qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur ou d’une autre personne assimilée lors de l’exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, et qui se manifestent notamment par des paroles, des intimidations, des actes, des gestes ou des écrits unilatéraux. Ces conduites peuvent notamment être liées à l’âge, à l’état civil, à la naissance, à la fortune, à la conviction religieuse ou philosophique, à la conviction politique, à la conviction syndicale, à la langue, à l’état de santé actuel ou futur, à un handicap, à une caractéristique physique ou génétique, à l’origine sociale, à la nationalité, à une prétendue race, à la couleur de peau, à l’ascendance, à l’origine nationale ou ethnique, au sexe, à l’orientation sexuelle, à l’identité et à l’expression de genre».
- Harcèlement sexuel au travail : «Tout comportement non désiré, verbal, non verbal ou corporel, à connotation sexuelle, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant».
- Le contenu du travail constitue le noyau, le coeur de la fonction : les tâches et leur complexité, la précision dans la définition du travail, les compétences requises, la charge mentale ainsi que les éventuels conflits éthiques;
- l’organisation du travail a beaucoup d’influence sur les autres composantes : comment sont structurées et réparties les tâches entre collaborateurs, les relations d’autorité, les méthodes de gestion et les politiques globales menées dans l’organisation (par exemple la politique de bien-être) , le degré de justice et d’équité entre travailleurs, la communication, etc.;
- les relations interpersonnelles regroupent les rapports sociaux entre les différents travailleurs et avec les responsables, mais aussi avec les tiers, les bénéficiaires, etc.;
- les conditions de travail influencent l’exécution du travail : horaires, type de contrat, rémunération, statut, etc.;
- les conditions de vie au travail, matérielles ou logistiques, peuvent avoir une incidence sur le mental des travailleurs. Il n’est pas besoin de souligner combien des locaux exigus, bruyants et mal adaptés sont une source de mal-être, tant pour les bénéficiaires que pour les travailleurs (les troubles musculo-squelettiques pouvant par ailleurs entraîner des problèmes psychiques).

- La qualité du travail;
- la capacité à gérer positivement les relations avec les usagers;
- la charge de travail;
- l’autonomie décisionnelle;
- l’équilibre entre efforts et récompenses;
- le soutien social;
- l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée;
- faire face aux défis du contexte social.
- primaire (élimination des dangers). Exemples : éliminer les surcharges importantes et fréquentes de travail et les objets dangereux à portée de bénéficiaires à risques ; organiser la rotation du personnel de première ligne à l’accueil;
- secondaire (limitation des risques) : organiser des groupes ou espaces de parole pour la charge émotionnelle; prévoir des casques anti bruit dans certains endroits ; nommer une personne de confiance; permettre (en particulier avec des personnes handicapées vieillissantes) de varier le travail; organiser un accompagnement d’équipe; mettre en place le plan de formation pluriannuel et concerté [[Qui n’est pas seulement un calendrier mais une démarche, développée par les Fonds paritaires. www.apefasbl.org/lapef/actions-et-projets/plan-de-formation]]; élaborer des descriptions de fonction;
- tertiaire (limitation des dommages) : organiser un accompagnement après une agression; informer les travailleurs des procédures dans les cas de harcèlement; remplir le registre de faits de tiers et mettre en place des procédures définies en concertation.

- L’employeur. Il insuffle un esprit de prévention et de gestion qui ne fait pas l’impasse sur les risques psychosociaux; il est, par ailleurs, tenu d’effectuer l’analyse des RPS et de prendre les dispositions nécessaires qui en découlent. Rappelons les responsabilités civile et pénale en la matière (cf. fiche 3.6);
- les membres de la ligne hiérarchique. Ils peuvent jouer un rôle important: un style de gestion d’équipe approprié, une attention pour les travailleurs et l’organisation du travail, peuvent limiter le stress et les conflits. Ils doivent également s’impliquer dans les mesures déterminées par l’employeur pour prévenir la violence ou le harcèlement moral ou sexuel [[Article 32 quater, al. 4 de la loi sur le bien-être au travail]]. Tout membre de la LH peut demander une analyse des RPS spécifique, écouter un travailleur qui estime subir un dommage psychique, intervenir dans le cadre d’une procédure informelle (cf. fiche 6.2), etc. Ils doivent donc rester attentifs aux signaux qui pourraient révéler la présence d’une problématique psychosociale, et veiller au traitement précoce de cette dernière. Ils peuvent aider à comprendre le problème, à le régler. Cela ne signifie pas que les supérieurs doivent régler eux-mêmes tous les conflits et toutes les souffrances liées au travail, mais ils doivent être à l’écoute et informer les travailleurs sur les alternatives qui existent pour les gérer;
- chaque travailleur. L’article 6 de la loi du 4 août 1996 souligne: «Il incombe à chaque travailleur de prendre soin, selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes ou des omissions au travail, conformément à sa formation et aux instructions de son employeur». Il doit notamment (art. 6, al. 7) : «Participer positivement à la politique de prévention mise en œuvre dans le cadre de la protection des travailleurs contre la violence, le harcèlement moral ou sexuel […] et s’abstenir de tout usage abusif des procédures», (cf. fiche 4.3);
- le conseiller en prévention interne. Il a son rôle, comme dans les autres domaines du bien-être au travail (cf. fiche 3.2);
- le SEPP et le conseiller en prévention spécialisé dans les aspects psycho-sociaux (CPAP)[[Sauf dans les très rares cas où l’institution dispose en interne des compétences spécialisées dans ces aspects (conseiller en prévention de niveau I spécialisé en aspects psycho-sociaux), les employeurs font appel au SEPP pour les missions liées à la charge psycho-sociale. Cela pour accompagner l’employeur dans cet aspect de la prévention, et pour l’assister dans l’analyse des incidents de nature psycho-sociale.]]. Expert, il conseille l’employeur et les travailleurs, est là pour écouter en toute confidentialité, et peut organiser une conciliation/médiation lors des procédures informelle ou formelle (cf. fiche 6.2). En cas de problème de santé, le médecin du travail peut aider et informer le travailleur;
- le Conseiller en prévention médecin du travail (CPMT). Il transmet au moins une fois par an, à l’employeur et au CPAP, les éléments utiles à l’évaluation des mesures de prévention des RPS résultant de l’ensemble des examens médicaux de surveillance de santé des travailleurs (et des visites des lieux de travail); et cela sous la forme de données collectives et anonymes. Il se concerte également avec le CPAP (avec l’accord du travailleur), lorsqu’il constate que l’état de santé du travailleur pourrait découler de RPS;
- la personne de confiance. Elle a un rôle majeur et spécifique dans la procédure informelle (cf. fiche 6.2.3);
- le CPPT, le Conseil d’entreprise, et la concertation avec les représentants des travailleurs (la délégation syndicale). Ils ont une mission d’avis tant sur l’analyse des risques et les mesures de prévention, que sur la désignation de la personne de confiance. Le CPPT voit son rôle de concertation renforcé en matière de RPS par l’A.R. du 10 avril 2014. Les informations que l’employeur doit transmettre au CPPT relatives à l’analyse des RPS ne contiennent que des données anonymes. Il veille également à ce que les membres du CPPT reçoivent la formation nécessaire pour appliquer de manière adéquate les mesures de prévention et les procédures en matière de RPS;
- le contrôle de la Direction générale du bien-être au travail. Il a pour mission de conseiller et éventuellement d’obliger l’employeur à prendre des mesures si les problèmes n’ont pu être réglés en interne;
- des spécialistes extérieurs peuvent enfin orienter et aider les employeurs et les travailleurs. Les Fonds paritaires référencent de nombreux organismes pratiquant dans le secteur non marchand.

